Description du projet :
Enjeu qui divise, la prostitution est tour à tour analysée comme une question morale, sanitaire, sécuritaire ou de droits humains. Au cœur de nombreux débats sur les violences, la libre disposition de son corps, et la traite des êtres humains, la prostitution représente un enjeu spatial pour les villes. La gouvernance de la prostitution est une thématique récurrente des politiques urbaines, et ce dès le Moyen-Âge. Elle l’est encore aujourd’hui dans différentes localités suisses, qui adoptent des modèles de régulation contrastés. Si Zurich a choisi de favoriser une perspective hygiéniste en installant des sex boxes comme alternative à la prostitution de rue dans une zone sécurisée aux marges de l’agglomération, la ville de Genève a quant à elle laissé la prostitution dans un quartier central proche de la gare, alors que Lausanne vient de réduire drastiquement le périmètre autorisé de cette activité, afin de favoriser la réhabilitation de friches urbaines. Le confinement lié à la COVID a encore ravivé le débat sur la place de la prostitution dans l’espace urbain et complexifié son rapport aux différents espaces qu’elle occupe.
Les recherches en géographie et en histoire se sont penchées sur la régulation spatiale des activités liées à la sexualité – notamment les red light districts, quand la sociologie et le droit se sont intéressés plus particulièrement aux effets de la régulation du commerce du sexe, en termes de conditions de travail, d’accès aux droits et de sécurité des personnes, voire de contournements desdites régulations. Pour autant, très peu de recherches ont comparé les différentes formes de régulation spatiale de la prostitution et leurs effets pour les personnes concernées : Quelles sont les politiques et les lois qui influencent l’organisation spatiale de la prostitution ? Qui sont les acteurs/-rices qui participent de ces différents choix politiques ? Quels sont les modèles de gouvernance mobilisés ? Quels arguments sont utilisés pour légitimer les différentes régulations ? Est-ce que les sex boxes favorisent de meilleures conditions de travail, davantage de protection et de sécurité ? Ou est-ce au contraire le fait d’être visible au cœur de la ville qui en est une garantie ? Quid des espaces virtuels ? Et qu’en disent les personnes concernées? Comment concilier leurs différents usages (diurnes et nocturnes) du quartier ? Autant de questions qui favoriseront la compréhension de la régulation urbaine du travail du sexe, qui varie localement, au croisement d'enjeux sociétaux, migratoires, de tranquillité publique et de revalorisation des villes, et que nous appelons « politique spatiale » de la prostitution. Ces questions permettront de mettre en lumière la gamme de situations intermédiaires entre des politiques spatiales répressives et des politiques spatiales plus « solidaires » envers les travailleurs/-euses du sexe. Au final, elles conduiront à une réflexion critique sur les « meilleures pratiques », à savoir celles qui permettent de satisfaire au mieux la cohabitation des différents acteurs/-rices de l’espace urbain.
Pour ce faire, ce projet propose dans les trois villes :
1) de cartographier a) les espaces de la prostitution (rue, salon, bar, virtuel) et la mobilité géographique des travailleurs/-euses du sexe ; b) les différentes politiques publiques qui influencent la régulation des divers espaces de la prostitution, en articulant les niveaux de décision (fédéral, cantonal et municipal) et le mode de circulation des modèles de gouvernance urbaine
2) d’identifier les acteurs/-rices qui participent du processus de mise en problème et de reconstituer les modalités de l’émergence d’une politique spatiale de la prostitution en s’intéressant aux diverses régulations, modèles urbains et arguments retenus
3) d’interroger les personnes concernées sur leur perception de ces régulations et leurs effets en termes de droits et de conditions de travail et sur les formes de négociations qu’elles mettent en œuvre.
En adoptant une démarche qualitative qui allie différentes perspectives en sociologie et en géographie sur les thèmes de l’urbain, de la marginalité et des sexualités, ce projet analyse les différentes formes d’organisation spatiale de la prostitution. Il permettra de comprendre la généalogie contemporaine de la politique spatiale du travail du sexe dans trois villes suisses, ses enjeux et ses conséquences. Il permettra également de proposer des réflexions sur les « meilleures pratiques » quant à la place de la prostitution dans les villes.
Equipe de recherche au sein de la HES-SO:
Castro Julie
, Chimienti Milena
Partenaires académiques: Lieber Marylène, UNIGE; Harriet Elorri, UNIGE
Durée du projet:
01.03.2022 - 28.02.2026
Statut: En cours