Résumé:
« Une épidémie silencieuse » C’est ainsi que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) qualifie le commerce de produits médicaux de qualité inférieure ou falsifiés. La FDA (US Food and Drug Administration) estime que 10% des médicaments vendus dans le monde sont des faux. Sur internet le taux de médicaments falsifiés ou contrefaits représente 90% des ventes. Ce trafic extrêmement lucratif atteint un chiffre d’affaire estimé à 75 milliards de dollars en 2010 et 200 milliards en 2016. Interpol annonce que depuis le début de la pandémie de COVID-19, la menace posée par les faux médicaments et produits médicaux a augmenté dans des proportions alarmantes, notement avec le trafic de chloroquine et de faux vaccins contre le COVID-19. Les pays émergents ou en développement restent la cible prioritaire du trafic Selon l’OMS, le taux de médicaments falsifiés est estimé entre 30% à 70% dans les pays africains. Sur un million de décès annuels dus au paludisme, 200’000 morts auraient pu être évités si les malades avaient été soignés avec de vrais médicaments. Les facteurs économiques font que les patients cherchent à se procurer des médicaments à plus faible coût via les marchés parallèles sans prendre conscience des risques encourus pour leur santé. Les acteurs de terrain manquent de moyens et de formation Sous forme de tablettes ou de capsules identiques en tout point à des produits pharmaceutiques homologués, les médicaments falsifiés ne contiennent pas le principe actif ou sont sous-dosés ou contiennent des substances toxiques. Aujourd’hui il est très difficile voire impossible de distinguer le vrai du faux médicament sur la base d’une simple observation visuelle. Face à cette complexité, les acteurs de terrain en mesure de lutter contre ce trafic (médecins, pharmaciens, douaniers, policiers, etc.) bénéficient rarement de moyens techniques et de formations adaptés. C’est ainsi qu’est née l’idée de créer un dispositif analytique répondant aux besoins des pays émergents et de mettre à disposition des autorités, des hôpitaux et des universités, un instrument qui permette d’identifier et quantifier les principaux composés des produits incriminés. L’électrophorèse capillaire est une technologie appropriée pour les pays émergents L’électrophorèse capillaire (CE) est une méthode analytique considérée comme « verte », aisément miniaturisable, basée sur les différences de mobilité de molécules chargées en solution. La séparation des analytes se déroule dans un capillaire rempli de solution aqueuse tamponnée, sous l’influence d’un champ électrique, suivi d’une détection généralement effectuée par UV. Cette approche permet une séparation rapide et performante avec une très faible consommation de solvant (quelques microlitres) par rapport à l’analyse par HPLC (~200ml de solvant par analyse). C’est un point crucial dans les pays émergents où l’approvisionnement en solvant et l’élimination des déchets sont problématiques. La CE est particulièrement adaptée pour la quantification du principe actif et des impuretés dans les compositions médicamenteuses. Cependant, les appareils d'électrophorèse capillaire du marché sont souvent sophistiqués et représentent un investissement financier important (60'000 à 80'000 CHF). Leur maintenance nécessite une compétence technique pas toujours disponible dans les pays émergents. Il est donc difficile pour les laboratoires d’analyses disposant de petits budgets d’acquérir ce type d’appareil afin de réaliser les contrôles. En 2009, la Haute Ecole d’Ingénierie et d’Architecture de Fribourg (HEIA-FR), en collaboration avec l’Université de Genève (UNIGE), a développé un instrument analytique à faible coût basé sur la technologie d’électrophorèse capillaire (CE) pour le contrôle qualité des produits médicamenteux. Suite aux excellents résultats obtenus avec le premier prototype, l’association à but non lucratif Pharmelp (www.pharmelp.ch) s’est occupée de récolter des fonds pour financer des appareils et former le personnel dans les pays émergents. A ce jour, 8 appareils ECB (Electrophorèse Capillaire Budget) ont été placés dans des laboratoires nationaux ou des Universités en Afrique et Asie et 2 appareils dans des institutions en Europe. Pour faire face à la demande croissante du nombre d’analyses et des pays intéressés, l’appareil a du être redéveloppé et adapté afin de répondre aux conditions d’exploitation dans les pays ciblés d’Afrique et d’Asie. Développer un appareil d’analyse flexible, durable et adapté aux conditions rencontrées dans les pays émergents. Les conditions de travail dans les pays émergents sont parfois très différentes de celles rencontrées en Europe. La chaleur, l’humidité, l’oxydation (salinité en bord de mer) sont des paramètres rarement pris en considération lors du développement d’un appareil de mesure scientifique mais qui font partie de la réalité du terrain. La stabilité du réseau électrique n’est souvent pas garantie et chaque coupure provoque un abandon de l’analyse en court. L’appareil doit donc gagner en robustesse et être opérable en conditions difficiles. Le niveau de formation du personnel est très variable d’un laboratoire à l’autre. L’utilisation de l’appareil doit être simple au niveau des manipulations et du traitement des données avec des méthodes d’analyses intégrées pour assister l’utilisateur dans sa démarche. Dans sa première version, la construction de notre appareil d’électrophorèse capillaire requiert un outillage et des compétences très spécifiques, ce qui impacte sur son coût (12kCHF) et limite les actions de développement et de maintenance dans les pays émergents. L’interopérabilité et la standardisation des composants doit permettre de réduire le coût de production et offrir des possibilités de maintenance et de réparation de l’appareil à l’aide de solutions locales ou de solutions accessibles sur Internet. Un soin tout particulier doit être porté dans le choix de composants respectueux de l’environnement. OpenCE, l’appareil d’électrophorèse capillaire Open Source de la HEIA-FR Un nouveau prototype d’électrophorèse capillaire, nommé par la suite OpenCE, a été redéveloppé à partir de composants standards, de pièces en impression 3D et de pièces en découpe laser. Grâce à ces techniques le coût des est de seulement 5’000CHF HT et les frais de montage sont estimés à 1’000CHF (Tarif Suisse). Un appareil OpenCE a un coût total de 6’000CHF environ contre 14’000CHF pour la version précédente soit une réduction de 60% des coûts. La gestion électronique et l’interface utilisateur de l’OpenCE ont été développé à partir de composants et logiciels open source et jouissant d’une grande communauté de développeur tel que Raspberry Pi, Arduino Mega, Python, Java. Les composants mécaniques (pompe, vérin, profilé aluminium, raccord pneumatique, …) ont été choisi parmi du matériel standardisé afin d’avoir la flexibilité sur le choix du fournisseur et assurer la pérennité dans la disponibilité des pièces. Seules quelques pièces au niveau du système d’injection sont spécifiques à l’OpenCE et doivent être usinées ou imprimées en 3D à partir de plans. Le module de détection UV a été partiellement redéveloppée. La tension d’alimentation a été standardisée sur 12/24V. Le support des diodes d’émission et de détection a été adapté afin de pouvoir remplacer ces composants en fonction des développements technologiques dans ce domaine (LED, Photo détecteur). Cela permet de garantir la pérennité de ce système de détection. Si l’appareil est open-source et bon marché, il n’en reste pas moins complexe à réaliser, surtout sur le plan logistique. Pour construire un appareil, il est nécessaire de passer des commandes de pièces auprès de 15 fournisseurs. Cela représente 120 références et plus de 600 pièces. Il faut environs deux jours de montage pour assembler un appareil. Le coût de 6’000CHF correspond à une valeur moyenne sur plusieurs appareils car certains composants ne s’achètent pas à l’unité. Assurer la pérennité et le développement de l’appareil au travers d’une plateforme Open Source Hardware/Software selon le principe de la science participative En partageant les plans de construction et le code source logiciel, chacun peut participer au développement de l’appareil, ou l’adapter à ses besoins. Ce développement collaboratif permet de mobiliser des connaissances provenant de tous types d’acteurs issus d’un milieu académique, associatif, publique ou entrepreneurial. Cette stratégie doit permettre aux acteurs de terrain de renforcer la collaboration avec les milieux académiques occidentaux (relation nord-sud). Il est également important de favoriser l’autonomie des pays émergents en mettant en réseau, au niveau national et international, les personnes actives dans le contrôle de la qualité des médicaments afin partager des connaissances liées à l’utilisation, la maintenance de l’appareil ou l’amélioration de celui-ci (relation sud-sud). C’est pour ces raisons que l’équipe de projet a souhaité un caractère Open Source pour l’appareil d’électrophorèse capillaire.