Summary:
Résumé
Depuis une vingtaine d’années, la formation par simulation connaît un fort essor dans le domaine de la santé, ceci dans une majorité de pays occidentaux, notamment la France et la Suisse. Face à la pénurie de soignant-e-s et la complexification de la prise en charge interdisciplinaire des patient-e-s, elle se présente comme une réponse pratique qui suscite un engouement politique et médiatique important. Selon ses promoteurs, issus tant du monde de la médecine, de l’industrie ou encore de la formation, la simulation permettrait de former les soignant-e-s de manière ciblée, fiable et sécurisée, selon l’exigence éthique préconisée par des instances comme la Haute Autorité de Santé française (2012) : « Jamais la première fois sur le patient ». Parallèlement, elle parerait au manque de places de stages en milieu hospitalier durant la formation (Policard, 2018).
Dans le cadre de notre communication, nous nous focalisons sur un type de simulation : la simulation clinique pleine échelle, dont l’objectif est de reconstruire un environnement physique et psychologique aussi réaliste que possible. Au-delà du matériel médical, elle implique des mannequins à la technologie sophistiquée, supposés reproduire l’apparence et la physiologie d’un-e patient-e : contrôlés et animés à distance par les formateur-trice-s, ils parlent, respirent, clignent des yeux. Leurs paramètres vitaux, variant selon l’exercice, sont projetés sur un moniteur. Aussi perfectionnés soient-ils, ces simulateurs – lisses, beiges, peu expressifs, à la bouche entrouverte pour permettre l’intubation – interrogent quant aux processus d’attribution d’humanité : comment de tels objets acquièrent-ils le statut de patient-e ? Comment le corps simulé et technologisé est-il appréhendé par les étudiant-e-s ? Comment médiatise-t-il le rapport des apprenant-e-s à leur environnement et leurs interactions avec les formateur-trice-s ?
Données théoriques et méthodologiques
Notre terrain d’enquête se situe dans un centre pluridisciplinaire de simulation intégré à une Haute école spécialisée de Suisse romande formant à différentes professions de la santé. Il consiste en une ethnographie de séances de simulation clinique pleine échelle et de réunions pédagogiques, complétée par des entretiens informatifs avec des formateur-trice-s. Alors que la littérature destinée aux praticien-ne-s concentre le débat sur le degré de réalisme et de fidélité perçu de la situation de simulation – plus il serait élevé pour les participant-e-s, meilleurs seraient leur adhésion au scénario et l’apprentissage (Tun et al., 2015 ; Jaffrelot et Pelaccia, 2016) –, nos résultats montrent que l’expérience produite par la simulation et les mannequins est une expérience en soi qui se situe à la frontière entre fiction et réalisme, feintise et authenticité, humain et non-humain. Elle est ainsi marquée par l’instabilité et l’alternance entre différents registres d’action et réalités, dans un dispositif technique, normatif et moral, à la fois prescriptif et instable qui ne saurait se réduire à l’imitation d’une expérience clinique (Hindmarsch et al., 2014 ; Horcik et Durand, 2015).
Dans une perspective d’inspiration pragmatique, nous analysons le jeu des corps et des techniques dans un contexte pédagogique et scénarisé, celui du « faire comme si ». Combinant une sociologie des usages (Akrich, 1992, 1993) et des opérations de déterminations ontologiques (Vidal, 2012 ; Borelle, 2018), nous démontrons la complexité d’un apprentissage par le corps (Goodwin, 1994 ; Pentimalli et Rémery, 2020) – gestuel, technique, émotionnel, communicationnel – aux prises avec un être artificiel à la réalité fluctuante.